Catholiques : l’extrême tentation FN 

Avant même les fêtes, c’est déjà la gueule de bois. Pour le catholicisme français, l’automne a été celui des discrets déchirements, puis des calamités. Vieille constante de la science électorale, la digue catholique dressée contre le vote en faveur du FN, a cédé, ce dimanche 6 décembre. Ce jour-là, au premier tour des régionales, les catholiques se sont mis à l’unisson d’une France malade et qui se droitisait : ils ont représenté un tiers de ceux qui ont voté le parti de Marine Le Pen. Pour la cathosphère (déjà bien à droite), ce choix révèle une nouvelle géographie, un paysage qui s’est fortement modifié depuis les bruyantes batailles contre le mariage gay...

Le blogueur Koz (qui vote lui-même à droite et qui a un temps soutenu la Manif pour tous) n’en revient toujours pas, s’en désole et s’en alarme. «Il y a des porosités de plus en plus manifestes entre le catholicisme et l’extrême droite», regrette-t-il. Sur les réseaux sociaux, depuis plusieurs mois, il bataille contre cette poussée extrémiste.

Il y a quelque temps, Koz a alerté sur une association de soutien aux chrétiens d’Orient, dénonçant ses liens avérés avec l’extrême droite. En retour, il a essuyé un tir de barrage nourri, venant, bien sûr, des identitaires. Mais pas seulement… Nouvelle et jeune figure de la droite ultraconservatrice, la journaliste du Figaro Eugénie Bastié l’a vertement taclé. Ambiance, ambiance… Trahi aussi par les siens, Koz se sent parfois un peu seul : «Quand on se retourne, on ne voit pas grand-monde derrière soi», dit-il. Fatigué et inquiet par la tournure prise par les débats, il est pourtant bien décidé à poursuivre son combat. Comme le 31 décembre, lorsqu’il participera à une émission relayée par le réseau de radios chrétiennes RCF.

Un saut vertigineux vers le FN

Qui a vu venir l’effondrement de la digue catholique ? Peu de monde, en vérité. Au lendemain du premier tour des élections régionales, le sondage Ifop pour l’hebdomadaire Pèlerin qui révélait l’ampleur des dégâts a fait l’effet d’une bombe : 34 % des électeurs catholiques avaient donc choisi le Front national, soit plus de 6 points au-dessus de la moyenne nationale. Pire encore, le saut était vertigineux parmi les catholiques pratiquants réguliers (ceux qui vont à la messe au moins une fois par mois, les militants et le cœur de cible). En mars, lors des départementales, ils étaient 9 %, parmi ceux qui votent, à donner leur voix à l’extrême droite. Contre 24 % neuf mois plus tard.

Quelques politologues avaient un peu senti le vent tourner. Pour Philippe Portier, historien et sociologue du catholicisme, «les premiers craquements étaient perceptibles depuis trois ou quatre ans». Un diagnostic confirmé par Jérôme Fourquet, le directeur du département opinions et stratégies de l’Ifop : «Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front national, les catholiques sont plus disposés à voter à l’extrême droite, relève-t-il. Il y avait eu quelques alertes en 2002 lors de l’élection présidentielle. Puis cela était rentré dans l’ordre.»

Pas à pas, l’Eglise catholique en France est en train de normaliser ses relations avec le Front national. Loin des années 80 et 90, où l’institution prenait régulièrement (et nettement) position contre le vote pour le parti de Jean-Marie Le Pen. De grandes voix de l’épiscopat, telle celle du cardinal-archevêque de Lyon, Albert Decourtray, ou celui de Paris, Jean-Marie Lustiger pesaient de tout leur poids et s’exprimaient publiquement. Ce n’est plus le cas. A Lille, quinze jours avant le premier tour des régionales, Mgr Laurent Ulrich, l’archevêque de Lille, publiait certes un communiqué. Mais sans parler clairement du FN. Au détour d’une phrase, il fallait lire entre les lignes pour comprendre que voter pour Marine Le Pen n’était guère recommandable. «Tout langage qui exclut l’autre, parce qu’il est l’autre, n’est pas compatible avec l’enseignement du Christ», y disait l’archevêque. Fermer le ban ! Mgr Ulrich invitait quand même à lire soigneusement les programmes pour se déterminer. Service minimum. «Ce silence de la hiérarchie est une évolution lourde, une rupture», pointe Philippe Portier.

L’apathie de l’épiscopat était déjà perceptible à la fin de l’été. A part un communiqué assez alambiqué du secrétaire général, dans lequel Olivier Ribadeau-Dumas ménageait la chèvre et le chou, la Conférence épiscopale n’avait rien dit de percutant quand le diocèse de Toulon-Fréjus avait invité à son université d’été la députée FN Marion Maréchal-Le Pen. Un silence qui valait absolution, surtout celui du président, Georges Pontier, l’archevêque de Marseille étant réputé se situer dans la ligne sociale du pape François.

«L’église doit dialoguer avec tout le monde»

Le malaise, quant à lui, est palpable. «Les évêques voient monter le vote extrémiste parmi leurs fidèles et sont très désappointés», estime Jérôme Fourquet. Enfin pas tous. A l’évêché de Fréjus, l’abbé Louis-Marie Guitton, l’organisateur de l’université de la Sainte-Baume, n’en démord pas. «L’Eglise doit dialoguer avec tout le mond e», répète-t-il en leitmotiv pour expliquer l’invitation à la nièce Le Pen. Il rit aussi. «Ce serait nous donner beaucoup d’importance», répond-il quand il est interpellé sur le poids qu’a pu avoir la rencontre de la Sainte-Baume. Même si le conseiller politique de Mgr Rey le minimise, le rendez-vous estival a levé des interdits. D’ailleurs, il a été plutôt bientôt accueilli dans les rangs du catholicisme conservateur. «C’était très courageux de la part de Mgr Rey», appuie ainsi Natalia Trouiller, l’ancienne directrice de la communication du cardinal Barbarin. «Les jeunes générations s’intéressent davantage à la personne plutôt qu’au parti qu’il représente», estime encore Louis-Marie Guitton, donnant une sorte de quitus moral au vote pour la nièce de Marine Le Pen.

Catholique revendiquée, proche de la Manif pour tous, elle séduit dans la jeune cathosphère. Autour d’elle, gravite d’ailleurs un cercle qui établit des ponts, notamment à travers le journaliste et essayiste Jacques de Guillebon. Elle est une carte maîtresse dans le jeu du Front national qui élargit ainsi sa base. Jusqu’alors, la clientèle électorale catholique du Front national se limitait grosso modo aux intégristes de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet. En cinq ans, ce schéma a explosé. «Il y a un fort activisme à la base, notamment à travers le courant de Mgr Rey, qui plaide pour un dialogue avec Marion Maréchal-Le Pen», explique Gaël Brustier, politologue, spécialiste des radicalités.

L’évêque de Fréjus n’est pas isolé. Son confrère de Bayonne, Mgr Marc Aillet, est l’autre grande valeur sûre du courant conservateur et identitaire. En 2014, il a conduit une délégation à Moscou, scellant une sainte alliance avec l’orthodoxie russe, très engagée elle aussi dans le combat culturel contre la modernité. Cette initiative personnelle lui a valu quelques remontrances de la part de la Conférence épiscopale. En revanche, son tweet de la fin de l’été n’a guère suscité de réaction. Mgr Aillet avalisait là un discours désormais en vogue qui distingue les «bons» et les «mauvais» migrants. Dans la pensée de l’évêque de Bayonne, il faut privilégier l’accueil des chrétiens d’Orient, les autres migrants étant suspectés d’être une sorte de cinquième colonne islamiste. «Nous avons des remontées des diocèses qui vont dans le sens de ce discours-là, acquiesce Laurent Giovannoni, responsable du département d’accueil et droit des étrangers du Secours catholique. Pour notre part, nous défendons et restons sur cette position de l’accueil inconditionnel pour tous.»

Malgré ces résistances ici ou là, l’aile conservatrice, ce catholicisme d’identité que la Manif pour tous a fédéré, a réussi son OPA, prenant en otage les autres courants. Son opposition s’est réduite à des marges et se tait. Il n’y a plus guère que l’avocat Jean-Pierre Mignard, proche de François Hollande, qui réussit à se faire entendre. Le catholicisme engagé, social, de gauche est devenu inaudible, pratiquement disqualifié par ses jeunes et coriaces adversaires, nombreux à écouter les Rey et Aillet. «Il nous manque des figures fortes qui puissent porter le message», reconnaissent nombre de cathos de gauche.

Le catholicisme d’ouverture sans relève

Certes, il y a bien eu un sursaut entre les deux tours des régionales. Lancée par d’anciens responsables de l’hebdomadaire la Vie, une pétition mettait en garde contre le vote pour le FN. D’eux-mêmes, ses initiateurs reconnaissent que peu de jeunes l’ont signée. «Nous avons manqué le rendez-vous avec les jeunes générations», regrette un catholique lyonnais. De fait, très présent dans les années 70, le catholicisme social et d’ouverture n’a guère de relève. Sauf dans des associations très présentes sur le terrain social. Cette cassure est due, selon Jean-Louis Schlegel, ancien éditeur au Seuil et l’une des figures intellectuelles du catholicisme français de gauche, aux pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI. «Ma génération a beaucoup douté, contesté, raconte-t-il. Nous étions atteints, secoués, parfois ébranlés par le monde. Les jeunes générations raisonnent, elles, en terme d’orthodoxie. Elles sont vent debout contre ce monde, un peu comme des chevaliers du Bien contre le Mal. Ils portent leur foi conme une sorte de contre-culture.»


Bernadette Sauvaget 


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