L’effrayant appauvrissement qui se manifeste là où l’on chasse la beauté et où l’on s’assujettit seulement à « l’utile », est devenu de plus en plus évident. L’expérience a montré que le fait de s’en tenir à la seule notion de « Inaccessible à tous » n’a pas rendu les liturgies véritablement plus compréhensibles ou plus ouvertes, mais seulement plus indigentes. Liturgie « simple » ne signifie pas misérable ou à bon marché : il y a une simplicité qui vient du banal, et une autre qui découle de la richesse spirituelle, culturelle et historique... Là encore, poursuit-il, on a banni la grande musique de l’Église au nom de la « participation active » : mais cette « participation » ne peut-elle pas signifier aussi perception par l’esprit et par les sens ?

Cardinal Joseph Ratzinger, Entretien sur la foi, Fayard 1985


 
 La liturgie devient enseignement, son critère est : se faire comprendre – ce qui aboutit bien souvent à la banalisation du mystère, à la prévalence de nos paroles, à la répétition de phraséologies qui semblent plus accessibles et plus agréables aux gens. Mais il s’agit d’une erreur non seulement théologique, mais aussi psychologique et pastorale. La vague d’ésotérisme, la diffusion des techniques asiatiques de relaxation et de vide mental montrent qu’il manque quelque chose dans nos liturgies. C’est justement dans notre monde d’aujourd’hui que nous avons besoin du silence, du mystère supra-individuel, de la beauté.

Cardinal Joseph Ratzinger, discours pour le jubilé des catéchistes, 10 décembre 2000, Rome


 
 Bien des choses que le Concile a décidées avaient depuis longtemps déjà trouvé là leur anticipation. D’ailleurs, Pie XII avait lui aussi déjà réalisé une partie de la réforme liturgique : pensez à la restauration de la Vigile pascale. Cependant, je vous accor­de qu’ensuite on a agi de façon trop abrupte, si bien que, pour beaucoup de fidèles, l’unité interne avec ce qui précé­dait n’a plus été reconnaissable. Ici aussi, le Concile a été tout simplement dépassé, lui qui, par exemple, avait dit que la langue du rite latin restait le latin, mais qu’il fallait accor­der aux langues nationales la place qui convenait.

Cardinal Joseph Ratzinger, La célébration de la foi, 1981


  
Bien qu’il y ait de nombreux motifs qui peuvent avoir poussé un grand nombre de fidèles à trouver refuge dans la liturgie traditionnelle, le plus important d’entre eux est qu’ils y trouvent préservée la dignité du sacré. Après le concile de nombreux prêtres ont délibérément érigé la désacralisation au niveau d’un programme d’action, en arguant que le nouveau testament a aboli le culte du temple ; le voile du temple, qui a été déchiré de haut en bas au moment de la mort du Christ sur la croix, serait, pour certains, le signe de la fin du sacré. La mort de Jésus, hors des murs de la ville, ce qui signifie, dans le monde profane, est maintenant la vraie religion. La religion, si elle a jamais eu une existence, doit la trouver dans le caractère non sacré de la vie quotidienne, dans l’amour qui est vécu. Animés par de telles idées, ils ont rejeté les vêtements sacrés ; autant qu’ils l’ont pu, ils ont dépouillé les églises de leurs splendeurs qui rappellent le sacré ; et ils ont réduit la liturgie au langage et aux gestes de la vie de tous les jours, par le moyen de salutations, de signes d’amitié et autres éléments.

Cardinal Joseph Ratzinger, conférence aux évêques Chiliens, Santiago, 13 juillet 1988


  
Certainement, dans l’histoire de l’après-Concile, la Constitution sur la Liturgie ne fut plus comprise à partir de ce primat fondamental de l’adoration, mais plutôt comme un livre de recettes sur ce que nous pouvons faire avec la liturgie. Entre-temps, il semble qu’il soit sorti de l’esprit des créateurs de la liturgie, occupés qu’ils sont de manière toujours plus pressante à réfléchir sur la manière dont on peut présenter la liturgie d’une manière toujours plus attrayante, et plus communicative, en impliquant activement toujours plus de gens, que, en réalité, la liturgie est « faite » pour Dieu et non pour nous-mêmes. Mais plus nous la faisons pour nous-mêmes, moins elle est attirante, et cela parce que tous ressentent clairement que l’essentiel est toujours davantage perdu.

Cardinal Joseph Ratzinger, L’ecclésiologie de la Constitution conciliaire Lumen gentium, Congrès d’études sur le Concile Vatican II, 22 au 22 février 2000


 Aujour­d’hui, on peut se demander si, après tout, il y a encore un rite latin ; la conscience de ce rite n’existe certainement plus guère. Aux yeux de la plupart, la liturgie apparaît plutôt comme une chose à réaliser par chaque communauté, tâche en vue de laquelle les groupes concernés bricolent de semai­ne en semaine leurs « liturgies » propres avec un zèle aussi admirable que déplacé. Cette rupture dans la conscience liturgique fondamentale me paraît être ce qu’il y a ici de véritablement funeste. Les frontières entre liturgie et réunions estudiantines, entre liturgie et convivialité dispa­raissent insensiblement ; on s’en aperçoit aussi, par exemple, au fait que des prêtres croient, conformément aux usages de la civilité bourgeoise, ne pouvoir communier eux-mêmes qu’après avoir distribué la communion aux autres ; au fait qu’ils n’osent plus dire « je vous bénis », rompant ainsi le face à face liturgique fondamental ; et encore aux saluta­tions souvent insupportables avec leurs séries de banalités, que certaines communautés attendent pourtant maintenant comme une politesse indispensable, et qui sont devenues ici monnaie courante. À l’époque où le nouveau missel n’avait pas encore paru, mais où l’ancien était déjà traité d’« ancien », on n’eut plus conscience qu’il y a un « rite », c’est-à-dire une forme liturgique préétablie, et que la liturgie n’est elle-même que parce que ceux qui célèbrent ne peuvent en disposer à leur guise. Même les nouveaux livres officiels, si bons soient-ils par bien des côtés, laissent ici et là trop appa­raître une planification professorale délibérée, et renforcent l’idée qu’un livre liturgique peut être « fait », comme n’im­porte quel autre livre.

Cardinal Joseph Ratzinger, La célébration de la foi, 1981


  
Un jeune prêtre me disait récemment : « II nous faudrait au­jourd’hui un nouveau mouvement liturgique. » C’était là l’ex­pression d’un souci que, de nos jours, seuls des esprits volontai­rement superficiels pourraient écarter. Ce qui importait à ce prêtre, ce n’était pas de conquérir de nouvelles et audacieuses libertés : quelle liberté ne s’est-on pas déjà arrogée ? Il sentait que nous avions besoin d’un nouveau commencement issu de l’intime de la liturgie, comme l’avait voulu le mouvement li­turgique lorsqu’il était à l’apogée de sa véritable nature, lorsqu’il ne s’agissait pas de fabriquer des textes, d’inventer des actions et des formes, mais de redécouvrir le centre vivant, de pénétrer dans le tissu proprement dit de la liturgie, pour que l’accomplissement de celle-ci soit issu de sa substance même. La réforme liturgique, dans sa réalisation concrète, s’est éloi­gnée toujours davantage de cette origine. Le résultat n’a pas été une réanimation mais une dévastation. D’un côté, on a une li­turgie dégénérée en « show », où l’on essaie de rendre la religion intéressante à l’aide de bêtises à la mode et de maximes mo­rales aguichantes, avec des succès momentanés dans le groupe des fabricants liturgiques, et une attitude de recul d’autant plus prononcée chez ceux qui cherchent dans la liturgie non pas le « showmaster » spirituel, mais la rencontre avec le Dieu vivant devant qui tout « faire » devient insignifiant, seule cette ren­contre étant capable de nous faire accéder aux vraies richesses de l’être.
Cardinal Joseph Ratzinger, Simandron der Wachklopfer. Gedenkschrift für Klaus Gamber, Luthe -Verlag, Köln 1989
  
Mes Révérends Pères, répondant à votre demande, je présente volontiers la réédition du Missel Romain en vigueur en 1962. Cette liturgie dont le Pape Jean‑Paul Il a bien voulu concéder l’usage à tous ceux qui y sont attachés, fait partie intégrante de « la richesse que représente pour l’Église la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d’apostolat ». (Cf. Motu proprio Ecclesia Dei du 2 juillet 1988). Il est bon que soient mis à la disposition des fidèles le texte latin et la traduction française de ce Missel, où, comme le disait le Pape Paul VI, « d’innombrables saints ont abon­damment nourri leur piété envers Dieu, par ses lectures des saintes Écritures ou par ses prières, dont l’ordonnance générale remonte pour l’essentiel à saint Grégoire le Grand. » (Constitution Apostolique Missale Romanum du 3 avril 1969).
J’espère donc que cette réédition répondra à l’attente de ces fidèles et les aidera à participer activement à la célébration de la sainte Messe. Ainsi elle contribuera à sa manière au renouveau liturgique demandé par le concile Vatican II et mettra en évidence « la beauté de l’unité dans la variété ». (Motu proprio Ecclesia Dei).

Cardinal Joseph Ratzinger, préface à  la réédition du missel traditionnel des fidèles par l’abbaye du Barroux, 18 juillet 1990


 
 Q : Est-il inconcevable, pour lutter contre cette manie de tout niveler et ce désenchantement, de remettre en vigueur l’ancien rite ?
R : Cela seul ne serait pas une solution. Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dange­reux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare sou­dain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrite aujour­d’hui ? [...] Des centres où la liturgie est célébrée sans affectation, mais avec respect et grandeur, attirent, même si l’on ne comprend pas chaque mot. C’est de tels centres, qui peu­vent servir de critères, que nous avons besoin. Malheureusement, la tolérance envers des fantaisies aven­tureuses est chez nous presque illimitée, mais elle est pra­tiquement inexistante envers l’ancienne liturgie. On est sûrement ainsi sur le mauvais chemin.

Cardinal Joseph Ratzinger, Le sel de la terre,Cerf, 1997


Il faut que de telles anxiétés et peurs cessent enfin ! Si, dans les deux formes de célébration, l’unité de la foi et l’unicité du mystère apparaissent clairement, cela ne peut qu’être pour tous une raison de se réjouir et de remercier Dieu. Dans la mesure où nous tous croyons, vivons et agissons selon ces motivations, nous pourrons ainsi persuader les évêques que la présence de l’ancienne liturgie ne dérange ni ne brise l’unité de leur diocèse, mais qu’elle est plutôt un don destiné à construire le Corps du Christ dont nous sommes tous les serviteurs.
Ainsi, chers amis, je voudrais vous encourager à ne pas perdre patience, à conserver la confiance, et à puiser dans la liturgie la force nécessaire pour donner notre témoignage pour le Seigneur en notre temps.

Cardinal Joseph Ratzinger, conférence pour les dix ans du Motu proprio Ecclesia Dei, Rome, 24 octobre 1998


Le deuxième grand événement au début de mes années à Ratisbonne fut la publication du Missel de Paul VI, assortie de l’interdiction quasi totale du missel traditionnel, après une phase de transition de six mois seulement. Il était heureux d’avoir un texte liturgique normatif après une période d’expérimentation qui avait souvent profondément défiguré la liturgie. Mais j’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel, car cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la liturgie. Bien sûr, on fit croire que c’était tout à fait normal. Le missel précédent avait été conçu par Pie V en 1570 à la suite du Concile de Trente. Il était donc normal qu’après quatre cents ans et un nouveau concile, un nouveau pape présente un nouveau missel. Mais la vérité historique est tout autre : Pie V s’était contenté de réviser le missel romain en usage à l’époque, comme cela se fait normalement dans une histoire qui évolue. [...] Le décret d’interdiction de ce missel, qui n’avait cessé d’évoluer au cours des siècles depuis les sacramentaires de l’Église de toujours, a opéré une rupture dans l’histoire liturgique, dont les conséquences ne pouvaient qu’être tragiques. [...] les choses allèrent plus loin que prévu : on démolit le vieil édifice pour en construire un autre, certes en utilisant largement le matériau et les plans de l’ancienne construction. [...] Je suis convaincu que la crise de l’Église que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie, qui est parfois même conçue de telle manière – et si Deus non daretur – que son propos n’est plus du tout de signifier que Dieu existe, qu’Il s’adresse à nous et nous écoute.

Cardinal Joseph Ratzinger, Ma vie mes souvenirs, Fayard 1998


 
 Catholicité ne veut pas dire uniformité. Ce n’est pas sans raison que la Constitution liturgique du concile Vati­can II a souligné la fonction particulière de l’église cathé­drale. La cathédrale peut et doit montrer plus d’exigence dans la solennité et la beauté du culte divin que ne peut normalement le faire l’église paroissiale et, ici aussi, le recours à l’art se situera à des niveaux différents suivant le motif et les circonstances. Personne n’est obligé d’être tout à lui tout seul ; ce n’est que tous ensemble que nous consti­tuons un tout. Curieusement, le pluralisme postconciliaire s’est montré, au moins sur un point, favorable à l’uniformi­sation : il ne veut plus permettre une certaine hauteur d’ex­pression. Or, bien au contraire, il faut que, dans l’unité de la liturgie catholique, la diversité des possibilités retrouve droit de cité.

Cardinal Joseph Ratzinger, La célébration de la foi, 1981


 
Avant le Concile de Trente, l’Église admettait en son sein une diversité de rites et de liturgies. Les Pères tridentins prescrivirent à toute l’Église la liturgie de la ville de Rome en sauvegardant, parmi les liturgies occidentales, uniquement celles qui avaient plus de deux siècles d’exis­tence. C’était le cas, par exemple, du rite ambrosien du diocèse de Milan. Si cela pouvait servir à nourrir la religiosité de certains croyants, à respecter la pietas de certains sec­teurs catholiques, je serais personnellement favorable à un retour à la situation ancienne, c’est-à-dire à un certain pluralisme liturgique ; pourvu naturellement que soit reconfirmé le caractère légitime des rites réformés, et que soient clairement circonscrites le cadre et le mode des quelques cas extraordinaires où l’on aura concédé la liturgie pré-conciliaire.

Cardinal Joseph Ratzinger, Entretien sur la foi, Fayard, 1985


 
 Il faut encore examiner l’autre argument qui prétend que l’existence de deux rites peut briser l’unité. Là, il faut faire une distinction entre le côté théologique et le côté pratique de la question. Pour ce qui est du côté théorique et fondamental, il faut constater que plusieurs formes du rite latin ont toujours existé et qu’ils se sont retirés seulement lentement, suite à l’unification de l’espace de vie en Europe. Jusqu’au Concile existaient, à côté du rite romain, le rite ambrosien, le rite mozarabe de Tolède, le rite de Braga, le rite des Chartreux et des Carmes et le plus connu, le rite des dominicains, – et peut-être d’autres rites encore que je ne connais pas. Personne ne s’est jamais scandalisé du fait que les dominicains, souvent présents dans nos paroisses, ne célébraient pas comme les curés, mais avaient leur rite propre. Nous n’avions aucun doute que leur rite fût catholique autant que le rite romain, et nous étions fiers de cette richesse d’avoir plusieurs traditions diverses.

Cardinal Joseph Ratzinger, conférence pour les dix ans du Motu proprio Ecclesia Dei, Rome, 24 octobre 1998


 

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