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Le point de vue de Jacqueline de Romilly : “Vivent les langues mortes !”
[Après avoir été professeur de langue et de littérature grecques à la faculté de lettres de Paris, Jacqueline de Romilly est membre de l’Institut de France depuis 1975. Elle a été élue à l’Académie française le 24 octobre 1988.]
" Aux yeux des profanes, le latin et le grec peuvent sembler bien inutiles. Et il est normal de s’étonner : quel privilège possèdent donc ces deux langues mortes, qui ne nous permettent plus de communiquer avec personne ? Et qu’a-t-on gagné quand on a consacré son temps à ânonner ces textes vieux de tant de siècles, alors que l’urgence de la vie pratique vous guette ?
On a gagné, en fait, l’art de maîtriser sa propre langue et de mieux mener sa pensée ; on a gagné un trésor de signes et de symboles qui seront l’armature de la vie intérieure ; on a gagné d’être soi-même plus capable et mieux préparé à tout.
On ne peut pas apprendre le latin ou le grec par simple imitation ou accoutumance : on est forcé, ici, d’analyser, et de prendre conscience de ce que sont un mode et un temps, de repérer les mots qui vont en-semble et qui s’accordent. On est obligé d’aller lentement, de comprendre.
Du coup, on prend l’habitude de contrôler ce que l’on dit soi-même et ce que disent les autres, avec la même exigence et avec le même désir de dégager un sens. Hélas ! point n’est besoin de rappeler combien les jeunes, à l’heure actuelle, sont démunis à cet égard. Aussi voit-on, depuis quelques années, des scientifiques et des industriels, lassés de trouver des gens incapables de rédiger, d’ordonner des arguments, ou de convaincre un acheteur, qu réclament avec force un retour aux humanités. Or ce souci pratique qui apparaît dans les entreprises n’est encore qu’un aspect bien secondaire : la vie du citoyen, la vie de l’individu ne réclament-elles pas, de façon plus urgente encore, cette clarté de l’esprit et de la parole ?
1 - Aujourd'hui où la majorité des Européens savent lire et sont poussés à connaître une ou plusieurs langues autres que leur langue maternelle sans avoir fait d'études spéciales et sans disposer d'un intellect supérieur, on peut avec un missel comprendre sans trop de difficulté que Credo in unum Deum factorem caeli et terrae veut dire Je crois en un seul Dieu qui a fait le ciel et la terre. La poétesse Marie-Noël disait "Je connais des vieilles femmes qui ne savent pas ce que veut dire "Salve", qui ne savent pas ce que veut dire "Regina" mais qui savent ce que veut dire "Salve Regina."
2 - Il existe des missels contenant tous les textes latins avec la traduction ; il faut en avoir un pour suivre la messe.
3 - Ceux qui assistent régulièrement aux messes latines sont vite familiarisés avec les textes de l'ordinaire de la messe qui sont toujours les mêmes.
4 - La participation à la liturgie demande une éducation et des explications sans lesquelles on ne comprend rien même si tout est en français.
5 - La liturgie n'est pas d'abord un enseignement, mais un culte rendu à Dieu, qui exige une langue sacrée distincte de l'usage profane (de même pour les objets du culte, les rites et les attitudes), et elle est en même temps une initiation au sacré, qui élève notre âme vers les réalités surnaturelles. Cependant elle comprend des parties didactiques (lectures de l'Écriture Sainte, prédication) qui sont toujours en français.
6 - Si l'on va à l'étranger et qu'on assiste à la messe dans une langue qu'on ne connaît pas, on ne comprend absolument rien, tandis que si c'est en latin on retrouve quelque chose de connu, qui nous unit aux catholiques de tous les temps et de tous les pays.
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