Dans le journal l’Action Française 2000, Carl Emoy-Ruissey parle justement de nos évêques :
« Les évêques exaspèrent beaucoup de fidèles. Ils ont, dit-on, des « courages de filles », pour reprendre le mot de la religieuse Jacqueline de Sainte- Euphémie, soeur de Blaise Pascal. Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi. Proches de nous, les archevêques de Paris Denys Affre (tué en 1848) et Georges Darboy (exécuté en 1871), ne manquèrent pas de courage sur les barricades ou dans la sinistre prison de la Roquette.
Et pourtant, les Français qui ont refusé les pièces blasphématoires, ceux qui ont marché pour refuser la loi Taubira, ceux qui défilent chaque année pour réclamer des lois pour la vie, sont bien en peine de trouver le secours et le soutien solide de leurs évêques. Pourquoi, lorsqu’on nous impose des lois contraires à la morale, nos évêques ont-ils si peur de lancer, comme Pie VII au général Radet qui lui demandait de renoncer aux États pontificaux : « non possiamo, non dobbiamo, non vogliamo » (« nous ne le pouvons pas, nous ne le devons pas, nous ne le voulons pas ») ?
Les évêques d’aujourd’hui sont, pour leur grande majorité, des « centristes ». Il y a bien une faction progressiste, toujours puissante avec Leurs Excellences Pontier de Marseille et Fonlupt de Rodez. Mais, comme la faction « traditionnelle », elle demeure marginale. Il faut noter d’ailleurs que ces factions n’existent pas vraiment : il serait peut-être plus juste de parler de tendances. Chaque évêque est un cas unique. Toute la génération des évêques quinquagénaires ou sexagénaires a été marquée par le pontificat de Jean-Paul II. L’un des derniers évêques français nommés, Mgr Olivier Leborgne, a été décrit comme étant la parfaite illustration de ce clergé renouvelé, ni progressiste, ni traditionnel. Comment les définir ? Les généralités, particulièrement en matière religieuse, n’ont pas grand sens. Essayons de ne noter que quelques éléments. Face à la diminution des fidèles, de la pratique religieuse, face au primat de l’action (souvent politique, et de gauche) sur l’oraison, ils ont été soucieux d’engager un mouvement de réaction pour supprimer les abus pastoraux, revaloriser la vie de prière et tenter des initiatives d’évangélisation. C’est tout le sens de l’implantation des communautés nouvelles, dites charismatiques : Chemin neuf, Emmanuel… Comme en témoigne le cardinal Vingt-Trois, leur doctrine est en général assez irréprochable. En revanche, leur liturgie pauvre et maladroite est à l’image de leur attitude publique : repli, refus des nécessaires confrontations, discrétion confinant à la timidité… Bref, ce sont leurs fidèles qui s’efforcent d’avoir du courage pour eux.
D’où vient-il, ce « ventre mou » de la Conférence des évêques de France ? Il revient de loin, pour ainsi dire. Au risque de surprendre, on pourrait même dire qu’il était « inespéré ». Dans Le Figaro du 29 avril 2011, l’écrivain Jean Sévilliaredonnait une salutaire perspective historique de la question épiscopale en France : « En 1974, au congrès de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Georges Marchais, secrétaire général du PCF, était accueilli par trente-cinq mille jeunes entonnant L’Internationale, scène se déroulant en présence de quarante-quatre évêques. [...] En 1979, une enquête a montré que la majorité des évêques de France est favorable à une collaboration avec le Parti communiste, 66 % d’entre eux acceptant le bienfondé des analyses marxistes. » De la pensée marxiste à la doctrine catholique, il y a un gouffre qui a été recreusé en quelques décennies. Et nous le devons à Jean-Paul II qui a redressé la barre des nominations épiscopales. Malgré cela, rien n’est parfait, loin s’en faut. À cause des dérives qui ont prévalu après le concile de Vatican II, le niveau de formation des séminaires en général a fortement baissé. La raréfaction des candidats au sacerdoce a contraint l’Église à être moins regardante sur la qualité des prêtres… et a fortiori des évêques. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose des progressistes, si puissants naguère. Leurs partisans sont de vieilles personnes qui s’obstinent encore à chanter des niaiseries à la messe dominicale. Leurs pasteurs ont défroqué il y a bien longtemps pour la plupart. Leurs évêques conduisent à la ruine finale des diocèses vides de fidèles et de prêtres. Un épiscopat « classique », attaché au concile Vatican II, était le compromis choisi par Jean-Paul II pour arbitrer entre eux et la faction traditionaliste, incarnée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X.
Or, la situation a changé. Le jeune clergé veut sortir à nouveau de ses presbytères. Il veut remettre à la mode les processions, les anciens pèlerinages, les pardons. Pas tellement pour lancer un défi arrogant à un monde hostile. Mais plutôt pour lui montrer que les catholiques sont de retour, fermement ancrés sur le trône de Pierre, sûrs de leur doctrine, déterminés dans la défense de leur foi. Pour nos têtes mitrées, pour le pape et la congrégation des évêques, l’enjeu est aujourd’hui, de donner à la France un épiscopat qui n’ait pas peur de l’ostentation quand elle est une source d’évangélisation ; de descendre dans la rue, quand il faut adresser un non possumus clair à nos contemporains ; de dénoncer avec force les lois mortifères, quand un gouvernement antichrétien les vote. Les jeunes catholiques veulent des évêques qui veillent à leur vie spirituelle, certes, mais ils veulent aussi des évêques de combat. C’est ce que le cardinalDaniélou avait fort bien expliqué par un ouvrage célèbre dont le titre résume tout : L’Oraison, un problème politique. La foi n’est pas qu’un problème personnel, c’est aussi un problème social. La foi doit être soutenue par la civilisation. Alors, au pape François, nous demandons nous aussi des « évêques courageux » : pas des « évêques politiques », mais des évêques qui savent qu’être chrétien, ce n’est pas être politiquement neutre. »